vendredi 24 décembre 2010




UN GENRE LITTÉRAIRE : L'AUTOFICION

La littérature romanesque française s'est enrichie vers la fin du XXe siècle d'un genre nouveau : l'autofiction. Il s'agit d'un néologisme créé en 1977 par Serge Doubrovsky, critique littéraire et romancier, pour désigner son roman Fils.

Le terme est composé du préfixe auto (du grec αυτος : « soi-même ») et de fiction.


L’autofiction se définit par un « pacte oxymoronique », ou contradictoire, associant deux types de narrations opposés. Le récit est fondé, comme l’autobiographie, sur le principe de trois identités (l’auteur est aussi le narrateur et le - ou l'un des - personnages principaux), mais se réclame cependant de la fiction dans ses modalités narratives et dans les allégations péritextuelles.

On l’appelle aussi « roman personnel » dans les programmes officiels. Il s’agit en clair d’un croisement entre un récit réel de la vie de l’auteur et un récit fictif explorant une expérience vécue.

Plus simplement, l’autofiction est le récit d’évènements de la vie réelle sous une forme plus ou moins romancée. Les noms des personnages ou des lieux peuvent être modifiés et la factualité mise au second plan au profit de l’économie du souvenir ou des choix narratifs de l’auteur. Affranchie des "censures intérieures", l’autofiction laisse une place prépondérante à l’expression de l’inconscient dans le récit de soi.

Serge Doubrovsky, qui a baptisé ce genre (mais des textes d’autofiction existaient bien antérieurement), définit ainsi sa propre entreprise : « Fiction d’événements et de faits strictement réels… du langage d’une aventure à l’aventure du langage en liberté, hors sagesse et hors syntaxe du roman, traditionnel ou nouveau ». La fiction devient ici l’outil affiché d’une quête identitaire (notamment à travers l’utilisation de la psychanalise, l'auto-analyse, ou la simple introspection).

Le récit, dont les caractéristiques correspondent à celles de l’autobiographie, proclame son identité avec le roman en reconnaissant mêler des faits empruntés à la réalité avec des éléments fictifs. Il s’agit donc de la combinaison des signes de l’engagement autobiographique et de stratégies romanesques, un genre qui se situe entre le roman et le journal intime.


Citations :

« … langage d’une aventure confié à l’aventure du langage, hors sagesse et hors syntaxe du roman, traditionnel ou nouveau… allitérations, assonances, dissonances, écriture d’avant ou après la littérature, concrète, comme on dit en musique… »

Serge Doubrovsky, Fils, Paris, Galilée, 1977.

« L'autofiction n'est pas un roman, car ce sont des événements tirés de la vie de l'auteur qui y sont racontés à la première personne. Il ne s'agit pas non plus d'autobiographie, car l'auteur ne s'engage pas à la vérité et se laisse toute latitude pour interpréter les faits et pour fabuler… Un tel genre présente l'avantage, pour les écrivains les plus libérés, de pouvoir raconter à peu près tout ce qui leur vient à l'esprit. »

Pierre Jourde, Précis de littérature du XXIème siècle.


La théorie littéraire de langue anglaise comporte deux notions proches de l’autofiction : faction (mot-valise regroupant "fact" et "fiction") et autobiographical novel.

La faction est tout texte mêlant une technique narrative empruntée à la fiction et un récit portant sur des faits réels ; même si le terme a le mérite de faire référence aux problématiques de l’autofiction, le corpus textuel qu’il désigne semble se rapprocher davantage de la nonfiction novel, voire d’un récit historique fictionnalisé.

Autobiographical novel est une expression plus courante pour désigner un récit proche de la vie de l’auteur mais s’affranchissant du pacte autobiographique.


L’usage du terme « autofiction » en milieu universitaire est récent et reste problématique.

Mounir Laouyen définit le terme comme regroupant des « autobiographies rebelles ou transgressives » et souhaite que son identité de genre, soit mieux définie (il préfère donc parler d’une catégorie textuelle). Les ressorts de l’autofiction sont pour lui liés à la discrétion totale sur la vie d’autrui et à la censure quant à sa vie intime, dont seul un pacte fictionnel permettrait de résoudre les problèmes, mais aussi à l’opposition réel / vécu (dans une optique psychanalytique) et à l’équivalence lacanienne entre moi et langage (ce qui expliquerait sa naissance au XXe siècle).

Jacques Lecarme distingue deux usages de la notion : l’autofiction au sens strict du terme (les faits sur lesquels porte le récit sont réels, mais la technique narrative et le récit s’inspirent de la fiction) et l’autofiction au sens élargi, un mélange de souvenirs et d’imaginaire.

Vincent Colonna définit un sens étroit : la projection de soi dans un univers fictionnel où l’on aurait pu se trouver, mais où l’on n’a pas vécu réellement, et, par extensions, tout roman autobiographique (en considérant qu’il y a toujours une part de fiction dans la confession). Ces dichotomies témoignent en tout cas de l’ambiguité de la notion.


Ménino se présente comme une forme évoluée d'autofiction, qualifiée de spéculative et slamée. C'est aussi un roman d'initiation.

Spéculative, car elle explore conjointement aux choses de la vie une pensée virtuelle, avec une analyse du vide, du manque, de la douleur, de la mémoire... tout autant de notions “intellectualisées”, relevant d'un regard nouveau sur des événements anciens bénéficiant d'une culture absente au moment des faits.

Slamée, car y préside un rythme musical du texte. La rédaction se lie et s'écoute, pour satisfaire un besoin de cadence qui pourrait s'apparenter à la pulsion du temps.

L'initiation est le fil rouge du récit, grandir et se construire, sa grande bataille.

Le recours à l’humour se réfère à la notion de résilience. Boris Cyrulnik l’assimile à une modalité de défense qui se répercute sur la santé. C’est bien installé dans le roman, qui est aussi une forme de résilience aboutie.


(Photo Migros Magazine)

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